dimanche 7 septembre 2008

[Tourne Disque] : Sonic Youth - SYR 7 / SYR 8






Sonic Youth - SYR 7 : J'Accuse Ted Hughes / Agnès B. Music

Label : SYR
Sortie : 22 Avril 2008
4/5





Sonic Youth - SYR 8 : Andre Sider Af Sonic Youth
Label : SYR
Sortie : 28 Juillet 2008
4/5


C'était en 1983, Sonic Youth venait de sortir son formidable premier album, Confusion Is Sex, et Jim O'Rourke - un jeune homme qui écoutait du John Cage à l'époque - a un ami qui lui dit "hé, Jim, toi qui aime les trucs bruyants, écoute ça, Sonic Youth, c'est super noisy, ça va te plaire". Peu de temps après avoir écouté l'album, Jim revoit son ami, lui rend l'album en lui disant d'un ton snob "Ça? Mais c'est PAS NOISY! Il faudrait que ce soit plus noisy que ça pour que j'aime!". En 2000, Jim O'Rourke intégrait Sonic Youth pour 5 ans après avoir participé depuis quelques années à des enregistrements expérimentaux avec le groupe.

Il y a toujours eu deux Sonic Youth. Un Sonic Youth qui écrivait des morceaux comme Teenage Riot, voir 100%. Un autre (noisy donc!) qui faisait des larsens interminables, qui collaborait avec des pointures de la noise music, qui sortait des albums d'improvisations sur des labels indépendants. Si les deux ont toujours été intimement liés, il y a eu des moments ou chaque s'est exprimé séparément, et c'est au sein des Sonic Youth Recordings (les SYR) que les plus importants moments d'expérimentations se sont joués. Depuis 1997, cette collection nous propose des enregistrements souvent instrumentaux de longues compositions et improvisations assez complexes et exigeantes. Et, cette année, ce sont deux additions qui ont rejoint ce court mais riche catalogue. Attention, ne nous méprenons pas et ne pensons pas que c'est un retour de Sonic Youth vers l'experimentation brute après le très pop Rather Ripped en 2006, ces enregistrements ayant de 3 à 8 ans. Il faut plutôt les voir comme des témoignages d'un passion pour l'expérimentation que corroborent les nombreux albums solos bruyants de chacun des membres du groupe.

Le SYR7 est peut être le meilleur de la série et il présente une période extrêmement créative et aventureuse du groupe, même si on conviendra sans mal que cet album est moins extrème que d'autres dans la collection (je pense particulièrement au SYR 4 qui était consacré à des reprises de musique classique dite contemporaine). Extrêmement brutal et dissonant sans pour autant tomber dans le pur ramassis de bruit sans but, il est composé d'un morceau live improvisé datant de 2000 qui a ouvert leur concert au festival All Tomorrows Parties (avant qu'ils se lancent pour le reste du concert dans des morceaux parfois encore instrumentaux de leur album NYC Ghosts & Flowers qui n'était pas encore sorti, autant dire que le concert n'a pas fait l'unanimité) et d'un jam assez calme, voir même quasiment ambiant datant de 2003 fait pour une créatrice de mode assez connue, pour ne pas citer agnès b, et qui rappelle les meilleurs moments du fantomatique et complèxe A Thousand Leaves.

Ces deux enregistrements sont donc en cela des compléments essentiels à l'écoute des brillants albums de Sonic Youth de cette période "expérimentale froide" (pourrait on dire un peu maladroitement) allant de, disons, 1995 à 2000. Il faut entendre l'immense J'Accuse Ted Hughes pour comprendre, avec ses 20 minutes infâmes et poisseuses, morceau bordélique à souhait avec une Kim Gordon absolument parfaite de bout en bout crachant à tout va d'étranges "i will fuck you/you're a poet" pendant que Thurston et Lee massacrent leurs guitares pour créer un lourd drone extrêmement prenant Aucun temps mort pendant le morceau, la tension est continue et ne retombe jamais. Le tout garde une vitalité incroyable et une puissance à couper le souffle et compte sans aucun doute comme l'un des moments improvisés les plus brillants que Sonic Youth a jamais fait parmi ceux qu'un enregistrement a permis d'immortaliser, évidemment. Rien que pour ce morceau, le SYR 7 est un album important dont l'écoute se relève être, pour quiconque est amateur de déflagrations soniques de qualité, un plaisir immense.

Mais la suite est tout aussi colossale dans le SYR8. Il faut pourtant toujours se méfier des bons castings. Surtout en musique noise. La rencontre de gens prestigieux fait souvent croire à des collaborations extrêmement fructueuses et des improvisations de haut vols. Sauf que, souvent, on se retrouve avec des albums un peu boursouflés et vains. Autant dire qu'une rencontre sur scène qui impliquait le groupe légendaire Sonic Youth accompagné à l'époque du surdoué Jim O'Rourke et rejoint pour l'occasion par l'excellent saxophoniste free Mats Gustafsson et, surtout, le stakhanoviste déifié japonais Merzbow ne pouvait être que deux choses : un gâchis improbable ou une réussite brillante et bruyante.

Tant mieux pour nous, cette fois-ci c'est réussi et ce live joué au festival de Roskilde (juste avant une prestation de Black Sabbath, qui ont du sonner comme de la bossa nova comparé à ça) se place tout à coté du SYR7 avec un long morceau de presque une heure extrêmement riche. Il n'y a au début que Kim Gordon, qui chante de sa voix rauque et Steve Shelley sur scène, et ils se lancent dans un morceau presque normal. Puis, rapidement, des membres se rajoutent, le morceau se déconstruit, Thurston et Lee arrivent sous des applaudissements, puis vient Jim O'Rourke un peu plus tard. Cela donne la première partie du morceau, remplie de larsens et rythmée de temps à autre par le jeu de batterie exceptionnel d'un Steve Shelley, dont on ne rappelle jamais assez le rôle clé au sein du groupe. Les guitares forment des murs de sons inouïs, un marécage sonique formidable, où aucune guitare ne prend le dessus et rappelle en cela les premiers SYR, une espèce de musique ambiant hardcore nourrie des sonorités si uniques de Sonic Youth. Mais c'est quand arrive Mats Gustafsson que tout démarre réellement. Dès la première note, il apporte à l'ensemble une tension fascinante : son saxophone hurle à la mort et semble se débattre. La batterie frappe de plus en plus fort sur les cymbales pour former un bruit continu, quand soudain, dans le fond, on entend des couches de parasites. Merzbow est entré sur scène et commence à lancer, depuis son ordinateur, les sons électroniques sur-aigus et bruyants qu'il maltraite depuis plus de vingt ans, à un rythme de quatre albums par an minimum.

Et c'est à ce moment là, au juste milieu de l'album, quand ils sont absolument tous sur scène que l'on atteint la quintessence du morceau. Il serait impossible de décrire par des mots l'implacable beauté convulsive qui se dégage de cet instant où tout les musiciens font ensemble un raffut impeccable. Tout n'est que tonnerre, tout n'est que jouissance, et Kim Gordon hurle et souffle dans un trombone au milieu de tout ça, impériale, brute, déesse du bruit au milieu des plus beaux sons du monde. La magie de cet instant là, c'est ce qu'il manque la plus part du temps à ce type d'albums. Mais ici, cette magie est là et elle se prolonge, même quand Kim Gordon et Steve Shelley quittent la scène pour laisser s'affronter dans un duel à mort les autres. Ils tombent tous un à un et leurs silences sont comblés par ceux qui restent, et qui du même coup redouble d'efforts. Ils ne sont plus que trois à la fin : Jim qui maltraite les sons les plus aigus possibles sur sa guitare, Mats qui souffle comme si sa vie en dépendait avec un virtuosité totale, et Merzbow, monstreux et stoïque au milieu de tout cela, qui lance des couches de bruits étouffantes, et qui restera seul à la fin, pour quatre dernières minutes, lente décélération chaotique après une heure d'assauts sans fins. Applaudissements.

Pour ceux qui n'avaient toujours pas compris que Sonic Youth sont les maîtres du noise rock, voici donc des rappels salutaires et jouissifs qui, mine de rien, enterrent pas mal de groupes de noise rock récents qui n'arrivent pas du tout à trouver la même fougue, la même vie, le même coté violent mais pas imperméable dans les couches de larsens ; voila enfin du noise rock qu'on a envie d'écouter plusieurs fois, si si, prenez en de la graine bruiteurs ennuyeux qui sortez 4 cassettes homemade nulles par an.

Emilien.

www.myspace.com/sonicyouth
Lien Vidéo de l'album :
Il y a quelques liens Youtube qui trainent pour montrer de courtes séquences du live qui constitue le SYR8, mais la meilleure vidéo a été postée par le groupe lui même sur son site, et il propose de la télécharger. Voici le lien direct. On y voit Thurston Moore faire des choses bizarres, puis Jim O'Rourke remuer un cable pour faire du bruit pendant que Mats souffle en boucle (n'oublions pas que la noise music, c'est aussi des performances physiques souvent). La vidéo se termine par Merzbow, stoïque et seul, dans les 4 dernières minutes du concert, avant que Thurston vienne remercier le public.
http://sonicyouth.edgeboss.net/download/sonicyouth/mainpagevids/othersides.mp4

4 commentaires:

P.E. Geoffroy a dit…

Je vais télécharger cette vidéo de noise. Faut vraiment que je sois fou de toi, quand même.

Anonyme a dit…

Salut les amis
je découvre votre blog et il me plait bien...

Je découvre aussi Sonic Youth (trop longtemps que je me dis qu'il faut que je me plonge là dedans.)
Le problème, c'est que je ne sais pas vraiment par ou commencer... J'ai besoin de conseils!
Alors si vous avez un album à me conseiller pour rentrer dans l'univers... Je suis toute ouïe!

Merci et à bientôt!

Emilien a dit…

Cher Tangee,

C'est un véritable débat entre amateurs de Sonic Youth pour savoir quel album conseiller à un néophyte. Chacun a son avis sur le sujet avec des arguments très opposés!

En fait, tout dépend de ce que vous écoutez, donc voici les albums qui peuvent être des bonnes portes d'entrées : (je laisse le soin à d'autres personnes d'écrire leurs conseils si ils divergent avec les miens)

- Washing Machine (1995) : l'album avec lequel j'ai découvert le groupe. un album très froid, très cru, extrêmement porté sur la dissonance, mais qui contient quelques uns des plus beaux morceaux du groupe comme The Diamond Sea.

- Dirty (1991) : album plus propre, plus leché, sans doute trop long, mais très efficace et plus simple que les autres albums. y'a une production un peu 90's mais ce n'est pas trop génant. On peut commencer par la même si c'est pas le mieux non plus.

- EVOL (1986) : un album un peu malsain mais très bien pour débuter le son est toujours sale et crû, mais les chansons sont plus accrocheuses que dans les premiers albums.

- Murray Street (2002) : du sonic youth plus pop, avec jim o'rourke en membre bonus. des morceaux apaisés, bien plus efficaces et immédiatement beaux. un album vraiment accessible, mais bien plus apaisé que le reste de la discographie du groupe.


EN TOUT CAS, il ne faut pas vraiment commencer avec les albums dont je parle dans la chronique qui représentent le coté "noise music" de sonic youth, un coté un peu exigeant et très bruitiste!


En espérant avoir pu aider!

emilien.

Clem a dit…

Merci!
Je pars à la mediathèque demain avec ces noms dans la poche!