dimanche 14 septembre 2008

[Tourne Disque] : Madvillain - Madvillainy 2 : The Madlib Remix

Label : Stones Throw
Sortie : 23 Juillet 2008
4/5






L'acheter

Quand je parle hip-hop, j'ai toujours l'impression de dire des bêtises de par mon statut de néophyte complet, c'est encore pire que si je voulais parler musique classique. Mais hier encore, en voyant dans le métro une publicité pour le concert de Kayne West qui montrait son visage dans un effet 3D-chromé qui rappelle les cinématique des premiers jeux de Playstation, je me suis demandé si le hip-hop n'était pas un peu en train de vivre ses "années 80". Une période un peu vulgaire et too much, remplie de choses laides qui vieilliront particulièrement mal et d'albums que les générations futures écouteront en rigolant grassement. Au niveau timing, on peut dire que ça correspond. Au niveau musical, ahem, les vocoders de Lil Wayne concordent aussi. Je n'en sais rien. Cependant, au milieu de ces périodes de vaches maigres que chaque mouvement musical connaît dans son histoire, il y a toujours une poignée de types brillants qui sortent, à contre-courant, des albums immenses.

Ce fut le cas en 2004 quand est sorti Madvillainy du duo Madvillain, composé des deux génies malades MF Doom et Madlib. D'un coté, on avait un flow impérial du premier avec sa grosse voix qui broie des mots qui se suivent étrangement. De l'autre, on avait les fameux instrumentaux bordéliques et inattendus du second qui offraient à l'ensemble une fraîcheur incroyable, mettant cote à cote des vielles bande-son disco, des samples hors-sujet de vieux programmes radio, du Stevie Wonder et du Steve Reich. On avait l'impression d'écouter une mixtape bizarre faite avec beaucoup trop d'herbe, mais tout faisait sens, chaque morceau est d'une efficacité impossible tout en ne faisant aucune concession et en osant parfois afficher une originalité déroutante. C'est simple, l'auditeur n'avait a aucun moment l'impression d'être pris pour un imbécile, bien au contraire, on en ressortait tout à fait estomaqué d'avoir écouté quelque chose d'aussi formidable et éloigné des clichés du hip-hop : paroles obscures ("don't touch the mic like there's aids on it!"), morceaux courts, aucun refrain. Classique instantané. Madvillainy est devenu un chef d'oeuvre moderne du hip-hop alternatif, un album qu'on conseille aux gens qui n'ont jamais écouté ce genre de musique, un indispensable dans toute discothèque qui se respecte qui montrait les deux membres à leur meilleur niveau. (Quoi? Vous ne l'avez pas écouté? Courrez faire ça tout de suite!). Face à ce statut d'album culte qui s'est acculé au cours du temps, l'idée même d'un Madvillainy 2 était donc un genre de rêve. Le temps passa. L'hyper-actif et impatient Madlib s'est occupé, il a sorti des tas d'albums, que ce soit avec son groupe de jazz, en solo, des remixes pour Blue Note, et a surtout sorti un deuxième album solo en 2005, sous le nom de son alter-égo Quasimoto, The Futher Adventures Of Lord Quas, un album brillant, incroyablement bordélique et incompréhensible de plus d'une heure, qui va encore plus loin dans l'absurde et l'abstraction, un genre de Trout Mask Replica du hip-hop.

Mais, pressé, Madlib voulait aussi rapidement offrir une suite à la discographie de Madvillain. Sauf que MF Doom, après avoir sorti quelques albums (dont un avec Danger Mouse), a disparu un peu pendant un certain temps : il y avait des rumeurs sur des nouveaux albums qui ne sont jamais sortis, il a été accusé par certains de faire du playback sur scène, ou même prétendu mort (!). Plein de problèmes reportèrent plein de fois ce fameux deuxième album, qui était annoncé déjà en 2007. Madlib n'a pas pu attendre et a alors décider de se lancer dans un projet absolument incompréhensible : remixer l'intégralité du premier album, tout seul. Pour se faire, il a décidé de ne garder que les parties de MF Doom et a changé absolument tout le reste, les instrumentaux, les beats, les samples, les titres des morceaux, la tracklist, tout. Cela donne donc cette étrange chose qu'est Madvillainy 2 : The Madlib Remix, un album que les fans de Madvillainy ont déjà écouté, mais qui leur semble pourtant tout à fait nouveau, et qui pourrait très bien être l'original pour le néophyte tant il n'est pas un remix ordinaire. C'est un troublant processus de décontextualisation des morceaux qu'à fait Madlib ici. Par exemple, le morceau Accordion qui marchait sur un sample d'accordéon est devenu Borrowed Time, morceau hanté avec d'étranges chœurs dans le fond. Si l'original était homogène grâce à l'ambiance assez cartoon qui servait de fil conducteur aux samples, celui ci est beaucoup plus proche des expérimentations solo de Quasimoto avec structures éclatées, bout de samples qui se suivent parfois abruptement (du piano bar s'enchaîne avec du Frank Zappa), et magie de beats maigres toujours originaux. L'exercice de la comparaison s'avère donc ici assez périlleux et quasiment vain. Certains morceaux y perdent, certains y gagnent, d'autres disparaissent, d'autres sont sublimés. Strange Days était un brillant morceau autour d'un sample pop terriblement efficace. Transformé en Can't Reform Em, il y tourne un genre de funk 70's étonnant. Comme une mélodie qui évolue selon les modulations harmoniques, le flow de MF Doom semble être lui même différent une fois déplacé à cent lieues de son morceau original sans pouvoir dire réellement si cela sonne mieux. A la fois différent et similaire dans l'esprit, ce remix ne peut pas se voir comme un apport à l'album original ni réellement comme une oeuvre à part entière, et le juger serait difficile de par le fait qu'il arrive 4 ans après l'original et qu'il est dur d'être objectif face à une version défigurée avec soin d'un album déjà formidable : on perd peut être l'impact et l'efficacité de Madvillainy, le tout est parfois peut être un peu faible. On en sait rien.

Mais peu importe, il faut bien le dire, nous aussi nous étions tout aussi impatient que Madlib d'entendre la suite des aventures du duo, et ce remix est un véritable plaisir à écouter, qui amène l'auditeur d'une trouvaille à une autre tout en l'entraînant dans des territoires qui semblent connus mais qui se révèlent être tous plus aventureux les uns que les autres. Derrière cet exercice de style quasiment oulipien (raconter la même histoire en changeant tout les mots!), nous avons ici encore la preuve que le stakhanoviste Madlib est un véritable visionnaire qui allonge de jour en jour d'albums brillants une discographie déjà impeccable. Le hip-hop n'est pas mort. Il est bien portant. Il a 34 ans et il est en ce moment même en studio avec MF Doom pour finalement enregistrer la vraie suite de Madvillainy. Tout va bien.

Emilien.

un lien : www.myspace.com/madvillain
Lien vidéo de l'album :
Pour pouvoir vous même apprécier la différence entre l'original et le remix, voici donc deux fois le même morceau, tout d'abord en 2004 sous le nom ALL CAPS


Et puis finalement dans la version remixée en 2008, sous le nom Never Go Pop. Oui, c'est très différent. Tout l'album est comme ça.

2 commentaires:

-Twist- a dit…

Très bon papier, qui ne semble pas écrit par un néophyte.
'Madvillain' est un de mes disques préférés des années 2000. La sortie de ce remix m'a rendu perplexe... Et puis j'ai écouté. Et j'ai eu une fois de plus la preuve que Madlib est un putain de producteur, c'est dingo. Tu le dis très bien d'ailleurs: on écoute le même disque mais un disque nouveau. Quel album peut se targuer d'avoir deux versions aussi excellentes (oui oui, cette version là a le niveau de la première mouture, je le dis haut et fort)? Réponse: j'en vois pas.
Quant on pense que la suite devrait pas tarder... Maman quoi...

-Twist- a dit…

J'ajoute aussi: quel disque peut se targuer d'avoir d'aussi bons remixes? Parce que celui là défonce, mais ceux de Four Tet et de (à un degré moins) Koushik déboitaient sévères aussi...