mercredi 30 juillet 2008

[Tourne Disque] : Pas Chic Chic - Au Contraire

Label : Semprini Records / Iris
Sortie : 15 Avril 2008
4/5




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Lorsque des musiciens habituellement cantonnés à la musique hardcore, post rock ou même métal s’essaient à la pop, cela donne Pas Chic Chic : la vraie relève de la chanson francophone moderne (du moins dans mon esprit). Et quand on sait qu’ils viennent de Montréal, on peut soit s’apitoyer inutilement sur le sort de la scène musicale française, soit oublier et se concentrer sur les folles chansons dandy de Au Contraire.

Etrangement, leur musique a l’air d’être décalée (second degré, ironie, tout ce qu’on veut), sans qu’elle le soit vraiment en réalité. Cette impression de musique à deux vitesses provient de l’improbable mélange entre ces fondations de pop sixties dans sa plus belle forme, et ce mur du son créé par les claviers vintages, servant de décors aux mélodies mélodramatiques chantées en français. D’ailleurs on ne peut que saluer cette démarche, car faire de la pop contemporaine dans notre langue est risqué, tant au plan artistique (tomber dans le ridicule) que commerciale (les portes de l’international se fermant alors très vite). Mais ici avec Pas Chic Chic, peu importe si le groupe fait succès (ce n’est pas le but), on constate juste que leurs chansons insolites fonctionnent très bien, et ont ce petit goût de musique inclassable destinée à rester ancrée longtemps. Une phase d’acclimatation est nécessaire au début, car Au Contraire est un peu perdu dans le temps, avec ce quintette qui semble sauter à cloche pied entre 4 décennies (le groove et la fausse innocence des 60’s, le psychédélisme et les claviers des 70’s, les larsens shoegaze des 90’s, et la production moderne des 2000’s), tout en sachant où aller en restant personnel.

Immédiatement très addictives, ces chansons foutraques et dynamiques m’ont amenés à chantonner inconsciemment des paroles comme « oooh, ce que je suis fou de toi » (Haydée Morcelée) ou « aaah, tu danses divi-ne-ment » (Tes Clichés Déclenchés), et c’est ce qui fait la force mystérieuse de Pas Chic Chic : savoir transformer des paroles à priori risibles en des envolées lyriques élégantes et classes. Parmi les meilleurs moments du disque surviennent les quelques échappées instrumentales krautrock (Hautes Infidélités, Vous Comprenez Pourquoi), ou les chants dialogués entre Roger-Tellier Craig (membre fondateur de Godspeed You Black Emperor) et Marie-Douce (Se Mirer Mare, En Chaine et en Vogue). Au Contraire est finalement un cocktail qui plaira autant au fan de musiques aventureuses et psychédéliques qu’à l’amateur nostalgique de la grande époque yéyé. Puissante, drôle, et singulière, l’anomalie Pas Chic Chic figure déjà dans le palmarès de l’année du Mange Disque.

François.

www.myspace.com/paschicchic
Lien audio extrait de l'album:
Pas Chic Chic - Haydée Morcelée

dimanche 27 juillet 2008

[Tourne Disque] : Cheap Time - Cheap Time

Label : In The Red Records
Sortie : 14 Avril 2008
4,5/5








C'est une évidence que certains nigauds essaient de nier en usant d'une mauvaise foi qui confine au révisionnisme musical le plus insupportable, mais le garage rock est un style de musique qui est, par essence, résolument chiant. Pour ceux qui ne sont jamais sorti du leur, rappelons que le rock dit garage est le parent pauvre du rock, la version sous-douée de la musique avec guitare électrique, l'horreur incarnée comme un ongle. Souvent joué par des idiots qui ne savent que peu utiliser leurs instruments achetés d'occasion, on l'appelle garage car c'est la où le groupe joue, ce qui explique leur manque de succès et leurs enregistrements pourris. Par contre, ce qui explique la pauvreté musicale de ce genre qui est tout de même responsable d'un autre mouvement de demeuré, à savoir le punk, et j'entend par là le punk sous sa pire forme (exemple : les ramones), c'est juste le manque total de talent des jeunes blanc-becs pseudo-cool et drogués qui ont cru qu'ils suffisaient d'avoir l'air branché et d'enchaîner les "money chords" pendant 2 minutes en braillant des inepties pour faire de la musique. Mais si encore ces gens là faisaient ça entre eux, passe encore, c'est aussi respectable que d'être philatéliste. Mais non, ils sortent parfois leurs albums et se produisent en public, ce qui conduit à ce que parfois, diantre!, ils plaisent. Ainsi, dans cette mythologie délabrée de groupes soi-disant indispensables, on trouve d'affreuses formations venues des 60's qui ont réussi à acquérir une sainteté en faisant n'importe quoi et en se prenant très au sérieux, et on réédite régulièrement les petits rejets musicaux de groupes comme The Sonics, The Seeds ou les risibles The 13th Floor Elevator. Et puis, au fur et à mesure des années décadentes qui nous menèrent au vingt-et-unième siècle, avec le punk qui a fait apparaître la parfois douloureuse (pour l'auditeur) idée du do it yourself, le garage rock a perduré, s'est perpétué, s'est propagé, s'est méthastasé, bref n'est pas mort, bien au contraire.

Alors pourquoi donc, vous demanderez-vous de manière fort judicieuse, met-je une note extrêmement positive au premier album du groupe Cheap Time qui semble être, ne mâchons pas nos mots, un groupe de garage rock? N'a on pas ici même une contradiction évidente qui discrédite le moindre de mes avis jusqu'à la fin des temps? Et bien non car, comme disait Magritte, ceci n'est pas du garage rock. C'est la représentation qu'on se fait du garage rock, ça donne l'illusion du garage rock, ça à le goût du garage, ça à le son du rock, mais c'est un leurre. En effet, c'est un fait, il y a de bons groupes garage rock, oui, ça existe ; et puis, dans l'absolu, le Velvet Underground à la base, c'est un peu du garage rock parfois. Mais voilà la clé qui différencie ces groupes du commun des brailleurs : ils ne se complaisent pas dans ce style stérile. Les meilleurs groupes de garage rock sont ceux qui n'en font pas, ou pas vraiment. Dans une moindre mesure, cela s'applique parfaitement à ce trio américain qui offre ainsi un premier essai totalement brillant. Déjà au début de l'année, ils avaient sorti un single dont la face A, Handy Man, était un tube instantané, un chef d'oeuvre de rock and roll qui rencontre la pop, une véritable insulte à l'intelligence qui avait le bon goût de rappeler tellement de bons groupes que les influences s'en trouvait brouillées. En une minute et quarante-quatre secondes, ils avaient fait l'un des meilleurs morceaux de l'année, voir même de la décennie. Il y avait tout, les claps, la voix de branleur, les 4 accords parfaitement sortis, le refrain avec des choeurs faux, le son dégueulasse, la batterie plus binaire qu'un ordinateur. On était plus prêt de la classe d'un You Really Got Me que des éjaculations soniques de nouilles sous lsd. Soudain, on pouvait croire à nouveau en un rock dans sa forme la plus simple, le rock mythologique et originel accouplé avec une modernité un poil surannée, on dépassait totalement la musique de sous-sol. Autant dire qu'on attendait donc l'album avec une impatience non feinte pour voir si le prodige pouvait tenir la distance.

Et soudain le voilà, fougueux, arrogeant, affichant fièrement sa stupidité comme un étendard, avec quatorze morceaux pour vingt-huit minutes, évidemment. Il me serait impossible de répondre à la question "pourquoi ça marche?". Je ne vois pas l'once d'une explication qui tienne sur des éléments tangibles. Pourquoi entendre 14 fois le même morceau (une caricature que quelqu'un sortira sans doute) n'est pas gênant avec Cheap Time? C'est vrai ça, le guitariste chante toujours avec un pré-ampli sur son micro, la batterie fait tout le temps le même break (un "tacatacata" en double-croche sur la caisse claire, il est dans 90% des morceaux), la production varie pas d'un pouce. Mais c'est prodigieux. Allez savoir. Appelez ça comme vous voulez, mais ces types là ont quelque chose qui fait qu'on ne s'ennuie pas avec eux, et qu'on bat du pied, qu'on secoue la tête, qu'on ne reste pas passif, bref qu'on fait ce qu'on a à faire en écoutant ce type de musique. Chaque morceau rivalise avec l'autre quand on essaye de voir lequel est le plus cool. Sur Glitter & Gold, ils usent de tout les poncifs du genre, mais peu importe, à la sortie, on a un tube. Sur People Talk, reprise d'un groupe totalement inconnu de new wave appellé The End, ils offrent un espèce de punk totalement new-yorkais qui peut faire penser à du glam. Falling Down est un tube de rock 70's avec solo façon guitar hero qui ne joue que sur la corde de mi aiguë. Sur Ginger Snap, ils sortent un petit synthé qui ne sert à rien mais donne un coté totalement passéiste fun à l'affaire pour finir sur des "ya ya ya ya ya" effrontément efficaces. Et finalement, le très long (3 minutes!) Trip To The Zoo qui finit en fanfare l'album, fait penser à du bon punk (ce qui semble pourtant être la plus part du temps une antithèse), celui qu'on aime écouter quand il n'y a plus rien d'agréable à écouter.

Oh, je les vois venir les cyniques qui diront "non mais n'importe quoi, c'est juste un énième groupe de garage rock ce truc". Oui, si vous voulez, si ça vous fait plaisir, mais Cheap Time, c'est avant tout des refrains pop, des influences glam, punk et venues des 60's, c'est avant tout des types qui savent écrire des tubes et qui, pour cela, le font avec un son pas terrible et trois accords façon garage rock certes. Mais quand un groupe est sur le même label que les Sparks, et qu'il dédie son album à Sany West, la batteuse de Runaways décédée en 2006, c'est qu'il y a plus que ça. Cet album est exemplaire car il apporte exactement ce qu'on peux attendre de lui, il se suffit à lui même, il contient l'essence même d'une musique indémodable après pourtant plus de quarante ans de raffut, et si on ne devait garder qu'un seul album de rock cet année, de rock tout court, sans multiples adjectifs pompeux, ce serait indéniablement celui la. Et, oui, pendant ce temps la, on peut continuer sans contradictions à conchier tout ces groupes post-modernes surfaits qui sortent des albums très très intelligents (oh, ça, oui!) mais qui ont totalement oubliés l'auditeur dans leur onanisme musical fatiguant.

Parce qu'on ne peux pas toujours être intelligent, dieu merci, il nous reste Cheap Time.

Emilien.

un lien? bien : http://www.myspace.com/cheaptime
Lien vidéo pour cet album :
L'anti-clip qui est lui très garage de Glitter & Gold. Notons qu'on y entend la version démo du morceau : la version de l'album est un peu plus lente mais bien meilleure. Pour un Cheap Time moins démo mais dans un son pourri, regardez les lives sur YouTube. Pour un Cheap Time réel, allez sur le myspace ci-dessus.

jeudi 24 juillet 2008

[Tourne Disque] : Cassandra Wilson - Loverly

Label: Blue Note Records

Sortie: Juin 2008

4/5

















Pour moi il y a deux types de chanteuses Jazz ; les tonitruantes, les gueulardes, les championnes du 100 mètres, celles qui te retournent l’intestin grêle en deux phrases ; puis il y a les autres, les douces, les posées, celles qui pantouflent paisiblement et qui arrivent à te séduire sur la longueur.



Cassandra Wilson appartient à la deuxième classe, mais la transcende ; sa voix velours, son swing, son côté Whisky/Cigare qui vous oblige à investir d’urgence dans un système audio digne de ce nom.



La musique de Cassandra Wilson n’est pas une musique d’iPod, elle se distille note après note gouttant ça et là dans votre conduit auditif. C’est une musique pour ampli à lampes, pour grosses mécaniques, rondes et puissantes, qui grondent et vrombissent.



J’avais été bluffé par son Belly of the Sun, incroyable chef d’œuvre d’acoustique, enregistré dans une vieille gare désaffectée. Mais Cassandra ne se résume pas à son « son » si particulier. Reste la musique en elle même, tant clinquante (Caravan) qu’opulente.



Tout va doucement, elle ne va jamais dans le précipité, le craché. On a l’impression qu’elle se couche sur la musique, que tout est complémentaire, l’un se reposant sur la rythmicité de l’autre (‘Til there Was you) ou l’autre égrainant son chapelet sur l’agréable nonchalance de l’un (Spring Can Really Hang You Up The Most, divinement chantée par Rickie Lee Jones sur l’album Pop Pop). La guitare se faisant acoustique au possible, on se pose, on écoute les grincements du fauteuil, les bruits parasites d’un jack ayant dépassé la date de péremption.



Puis on avance vers d’autres continents, l’Afrique (Arere), hypnotique et mystérieuse, l’Amérique (St. James Infirmary), blues et poussiéreuse. On survole les notes dans un paisible repos. Au bout d’une heure on se rend compte qu’on s’est assoupi dans notre fauteuil. C’est l’effet « Grand Album » ; vous faire pénétrer la musique, vous faire respirer les mesures, boire les notes.

Ce genre de musique ne s’apprécie pas de façon compulsive. C’est un album qui s’écoute une fois, se conserve dans un coin de la bibliothèque et se ressort quelques mois après en se servant un trait de la même bouteille…



Christopher.



http://www.myspace.com/cassandrawilson

Lien vidéo de l'album:

Cassandra Wilson - Caravan

dimanche 20 juillet 2008

[Tourne Disque] : The Dutchess & The Duke - She's The Dutchess, He's The Duke

Label : Hardly Art
Sortie : 8 Juillet 2008
4/5








La peste soit des réactionnaires. Ils sont partout, nombreux et réunis, ces types qui ne jurent que par la musique d'avant. Avant quoi? Avant tout, avant l'ordinateur, avant le synthétiseur, avant la mort d'Elvis, voir même parfois avant l'avant. Ils rechignent sur toute la musique actuelle. Le dernier album qu'ils ont achetés était une réédition. Leur dernier concert? Une reformation. Et leurs albums préférés sont Revolver, Highway 61 Revisited et Pet Sounds, dans un élan d'originalité qui les caractérise. Les filles étaient plus belles dans les 60's, les chansons plus cool, les garçons plus fun, les soirées plus arty, les fringues plus classes, la vie plus facile. Ces types sont tellement braqués sur le passé que si ils étaient transportés comme dans leur rêve le plus cher dans les 60's, ils se mettraient à écouter de la country en crachant sur les guitares électriques et les cheveux longs. Parfois, les réactionnaires font de la musique. Ils font des reprises, ou alors des morceaux tellement pompés sur de vieux tubes que c'est quasiment des reprises. Dans le pire des cas, ils font des albums que personne n'écoute à part d'autres réactionnaires qui trouvent ça pas mal, mais moins bien qu'avant, évidemment.

A première vue, le duo américain The Dutchess and the Duke fait parti de ces gens là, et la sortie de leur premier album qui est garanti totalement non-original n'est qu'un énième disque vieillot de folk poussiéreuse avec un garçon et une fille qui chantent, ah la belle affaire, qui viendra moisir dans les bacs à soldes, si il atteint les bacs un jour. En plus, pour faire plaisir à tout le monde, ce disque est un peu lo-fi, enregistré dans un garage avec des petits micros sur un 8 pistes, avec pas de batterie, juste des harmonies vocales et des guitares acoustiques jouant des accords qui cherchent pas du tout à surprendre, avec des influences diverses (les Rolling Stones, Leonard Cohen, un peu de folk daté) mais qui ont toutes un point commun : elles datent des 60's. Couplez avec ça une pochette classe mais qui a piqué ses cartons chez Dylan en 1966, et c'est l'horreur, l'album qui semble se prosterner devant des influences évidentes.

Et puis finalement, l'auditeur septique est obligé de la fermer quand il entend ce Reservoir Park qui ouvre 30 minutes exemplaires de compositions géniales : un morceau sec, entêtant, avec un refrain tellement bien fait et tellement simple qu'on se demande pourquoi on l'a pas composé nous même. Y'a des claps, des maracas et tambourins, des harmonies vocales dévastatrices, des paroles tristes et faciles ("tell me what am i gonnaaaa doooo"), tout ces éléments déjà ressassés mais pas dénaturés : mini-tube instantané. Il en va ainsi pendant 10 chansons qui, de la valse aux morceaux pop mignons, ne tombent jamais dans une mollesse pourtant récurrentes dans les essais de ce genre et offre au contraire une fraîcheur qui convient bien à la saison. Chaque morceau est un petit moment formidable, un petit sourire familier, une petite mélancolie collective (I am just a ghost et sa coda formidable). Ce que nous rappelle She's The Dutchess He's The Duke, c'est qu'une bonne chanson reste une bonne chanson, qu'une mélodie imparable est intemporelle, et en se plaçant ainsi dans la descendance directe d'un genre qui semble parfois avoir tout dit, le groupe se place, certes, en décalage par rapport à aujourd'hui, mais sans pourtant perdre de sa modernité, en témoigne les paroles, certes assez classiques et déprimantes, mais avec des gros mots et des histoires qui rappellent que nous sommes en 2008 et plus du tout en 1966. Le tout, en plus d'être efficace et bien composé, donne à l'album une réussite indéniable : celle d'avoir fait un premier essai un peu paumé mais tout à fait hors du temps, qui n'est victime d'aucun stigmate de notre époque (vous verrez, on se marrera bien dans quelques années quand on réécoutera MGMT) et qui reste solide de bout en bout.

Alors finalement, oui, ces types là sont en retard, énormément en retard, en retard peut être de 40 ans avec cet album qui reste emprunt du charme suranné d'une folk qui n'est pas mort mais ne sent plus très bon. Mais nous aussi on se sent à la bourre de quelques décennies parfois, quand on écoute certains affreuses productions musicales actuelles après s'être fait un album du Velvet Underground. Alors bon, quand on est en retard en même temps, ça veut un peu dire qu'on est à l'heure non?

Emilien.

ah oui, un lien ça alors : www.myspace.com/thedutchessandtheduke
Lien vidéo de l'album :
Le morceau Back To Me en live, morceau plus cool que la mort :

dimanche 13 juillet 2008

[Tourne Disque] : Women - Women

Label : Flemish Eye
Sortie : 8 Juillet 2008
1/5







La musique est, de base, une chose inutile. Au sens "n'est pas une chose vitale". On peut très bien vivre sans musique (ou, au pire, avec peu de musique) et c'est d'ailleurs quelque chose de très moderne que d'en écouter tout le temps. A l'origine, de toute façon, l'art est inutile, c'est à cela qu'on le reconnaît. Ainsi, dire qu'un album est inutile, c'est absurde, ça ne le différencie en rien de tout autre album rempli de musique inutile. Cependant, permettez moi ici de faire un abus de langage, et de prendre pour base hypothétique le fait qu'un album peut servir un petit peu à quelque chose, qu'il doit donner un certain plaisir à l'auditeur, et pour cela, doit offrir une musique "intéressante", que ce soit du point de vue de l'originalité, de l'efficacité, ou de quoi que cela soit. Une musique qui permet de dire à la fin "ah, j'ai pas perdu mon temps". Partant de là, je peux en revenir à l'affirmation qui m'intéresse : l'album Women du groupe éponyme est un album totalement, tendrement, tragiquement inutile.

Le jugement est peut être un peu dur, mais c'est le seul terme qui me soit venu après plusieurs écoutes très vides de ce premier album qui manque tout ses effets, toutes ses tentatives, tout ses morceaux. Cet album est profondément inutile car il échoue à tout les niveaux. Déjà sur la question de l'originalité. Ces types là ont clairement une discographie d'un goût exquis chez eux, ils ont du noise rock, de la pop, de l'expérimental sur leur iPod, ils sont ouverts et ils aiment bien les groupes un peu bizarres, ils ont tripés en live sur du Animal Collective, ils ont un tee-shirt bleu washing machine, ils faisaient du larsen à 15 ans. Bref, quel bonheur, on a un album de types malins, de mecs vraiment intelligents, c'est comme avoir France Culture dans sa voiture, on a moins l'impression qu'on conduit une voiture. Sauf que voilà, cet album est la nouvelle preuve - s'il nous en fallait une - que des gars super malins et avec qui on pourrait discuter pendant des heures à propos de la discographie de Sonic Youth ne sont pas forcement synonymes de types pouvant faire des albums réussis, bien au contraire. Women est un album qui se noie dans ses influences d'une manière assez terrible, en tentant tout au long de l'album de ressortir tout les gimmicks possibles de l'album pseudo-expérimental que nos musiciens connaissent par cœur. C'est un véritable catalogue : on a les batteries un peu primales qui tapent fort et en boucle, on a les voix pas très justes noyées dans l'écho pour se prendre pour Liars pompant This Heat, on a un morceau ambiant pour montrer qu'on peux aussi faire des trucs vraiment difficile même si on fait durer le morceau que 3 minutes (Woodbine, exercice complètement raté), on a des passages ultra noise pour montrer qu'on a peur de rien et qu'on sait faire grésiller un enregistrement, on a des guitares qui sonnent désaccordées comme celles du temps de la No Wave (January 8th), on a un morceau avec plein de notes pour montrer qu'on sait jouer de la guitare (Sag Harbor Bridge), cet album est donc une immense masturbation musicale, plein de tentatives d'être original qui ont toutes été déjà faites de manière beaucoup plus réussie par plein d'autres groupes bien meilleurs il y a pas mal de temps. Parfois, on cherche à mettre des passages pop pour être aussi surprenant que Wire en 1978, mais c'est raté, l'effet tombe à plat. Finalement, sur cet album, il manque uniquement des samples de gens qui parlent pour faire musique concrète et un morceau shoegaze, des trucs que les autres groupes nuls du même genre font aussi, mais je présume que c'est pour le prochain album.

L'autre échec de cet album, c'est aussi celui d'intéresser l'auditeur. A force de se complaire dans sa position de groupe crâneur mais gentil, on finit par bailler sans fin à l'écoute des pourtant courtes 30 minutes de l'album. Les morceaux sont soit beaucoup trop baclés (faire durer le Cameras d'intro sur 1 minutes semble vouloir dire "hé! hé!regardez! on enchaîne les morceaux comme ça nous! on est trop fort! vite! hop! hop hop!"), soit beaucoup trop longs (les 4 minutes du risible Upstairs qui tente de se finir sur une ambiance bizarre avec violons bizarres qui font des bruits bizarres, oui, pourquoi pas, et si vous aviez eu un saxophoniste sous la main, vous auriez aussi fait du free jazz c'est ça?). Et même quand on tombe sur des passages pas spécialement mauvais, on a surtout envie de rire ou d'écouter les orignaux. Il faut entendre le groupe se prendre pour les Beach Boys sur Black Rice, avec les même harmonies vocales, les mêmes vibraphones. Oui, c'est bien les garçons, vous n'apportez rien, c'est sympa. Mais là où le bas blesse, c'est que le morceau n'est pas un tube, n'est pas un grand morceau, n'a pas un refrain génial et finalement reste un morceau de plus sur un album de plus qu'on aura oublié bien vite. Le final de Shaking Hands est réussi aussi, mais en ce qui me concerne, c'est drôle, j'ai des amis qui m'ont fait écouter un morceau à eux l'autre jour qui finissait de la même façon, avec deux accords majeurs, des guitares qui gratouillent dans l'aigu et une batterie qui tape, le tout ad lib. Tout ce qui est raté ennuie à mourir et existe déjà. Tout ce qui est un peu réussi n'est pas marquant et existe déjà. Cet album est un genre de ready-made, sauf que les types font ça après Marcel Duchamp et après des types qui ont copiés Marcel Duchamp.

On se retrouve avec quoi au final? Et bien l'album le plus inutile de l'année, qui n'invente rien, ne trouve rien, un espèce de trou noir musical, un collection de sons qui vont dans tout les sens sans qu'on ait l'impression d'entendre des morceaux, comme si ce groupe ne savait pas vraiment ce qu'il faisait, qu'il cherchait où se placer, en faisant le tout avec un manque cruel de vie. Un groupe qui a sorti un album alors qu'il aurait pu tout aussi bien jeter l'ensemble à la poubelle. L'année dernière, l'album de Deerhunter pouvait déjà donner cette impression. Ici, c'est encore plus pauvre. C'est un peu comme si Women pompait Deerhunter qui pompe Liars qui s'inspire d'autres groupes. Un peu comme une grande famille consanguine du noise rock dont, à chaque génération, la progéniture est de plus en plus dégénérée. Et finalement, le plus terrifiant, c'est de se dire que, quelque part dans le monde, une bande de types va écouter l'album de Women, se dire qu'il est génial, et va former un groupe qui pompera Women, pour produire un album encore plus inintéressant que celui là.

Emilien

Pour les masochistes qui veulent subir ce groupe : http://myspace.com/womenmusic
Lien vidéo de l'album (non, ne me remerciez pas) :
Une version live (et encore plus molle que l'originale, ce qui est un comble) du morceau Black Rice :

mercredi 9 juillet 2008

[Tourne Disque] : Ratatat - LP3

Label : XL Recordings

Sortie : 8 Juillet 2008

4/5

















Le groupe Ratatat est l’incarnation parfaite du groupe d’électro-rock mutant, qui préfère se tourner vers le futur plutôt que de s’asseoir sur les bases du passé. En effet, Mike Stroud et Evan Mast ne semblent pas évoluer sur notre même planète, où règne l’influence électronique et disco des années 80 (des Klaxons à Sébastien Tellier, en passant par Calvin Harris), et où le rock a effectué son imposant revival au début des années 2000. Ils préfèrent se détacher de cet environnement recyclé, et composer leur savant mélange en autarcie.



Entièrement instrumentale (à part sur un morceau), leur musique est tellement étoffée et étincelante qu’à aucun moment l’idée de l’absence de vocalises ne nous traverse l’esprit. Leurs compositions se suffisent à elle-même, et la guitare peut presque être considérée un instrument électrique humanisé, chantant au dessus des synthétiseurs stellaires et des arrangements électroniques. Le guitariste y injecte durant tout l’album de courts phrasés mélodieux ressemblants à des mini-solos de guitares en boucles, faits d’une multitude d’arpèges claires et précises. Entre l’intelligente construction des beats (claquants mais jamais trop lourds, suffisamment variés), la recherche apportée aux sonorités des synthétiseurs et l’inspiration de la guitare, ce fin dosage donne à ces morceaux minutieux l’allure de petites symphonies électro pop solaires, définitivement à part.



LP3 n’est pas non plus révolutionnaire, car dans la lignée des deux précédents disques (Ratatat et Classics), mais on sent un effort de diversification dans l’abondance de nouvelles textures (par l’apport du Mellotron et du Wurlitzer) et l’exotisme de certains rythmes (Flynn : un surprenant interlude avec des choeurs aériens sur une rythmique reggae nous permet de revenir sur terre deux minutes ; un assaut de vrais percussions sur Mi Viejo). On espère seulement que dans l’avenir Ratatat saura se renouveler complètement et exploser de façon encore plus radicale les frontières entre le rock et les musiques électroniques. Cependant cette exigence semble alors mineure face aux degrés quasi infinis d’écoutes que nous offre cet étonnant rubik’s cube musical.



François.
www.myspace.com/ratatatmusic

Extrait vidéo de l'album :


Ratatat - Mirando

dimanche 6 juillet 2008

[Tourne Disque] : Beck - Modern Guilt

Label : XL Recordings
Sortie : 7 Juillet 2008
3/5








Beck est un type fini. il a 38 ans, deux enfants, et ça fait 12 ans qu'il tente de faire mieux que son album culte Odelay, en échouant à chaque fois avec plus ou moins de dépit. Il a pourtant essayé de faire autre chose ; il a pompé Gainsbourg et Nick Drake sur Sea Changes, il a essayé d'être cool dans Midnite Vulture. Manqué. Il a pourtant essayé aussi de faire un peu la même chose qu'avant dans ses deux derniers albums. Rien de mémorable. Personne ne lui a dit qu'il ratait son coup à chaque fois, d'ailleurs ces albums n'étaient pas tous mauvais (au contraire), mais tout le monde se rendait bien compte que chaque nouvel essai était de plus en plus juste un de plus dans une discographie qui s'éloignait inexorablement du génie des premiers temps. Et puis soudain, le temps passe, et nous voilà déjà en 2008 et voilà que sort le huitième album de Beck, Modern Guilt, un album que personne n'attend, qui ne suscite aucune impatience, un album dont on se fout un peu en fait, produit par Danger Mouse qui produit n'importe qui, et avec Chan Marshall, fraîchement convertie en country girl qui fait bailler tout le monde, venue faire des choeurs qu'on entend même pas sur deux morceaux.

Je l'ai écouté attentivement cet album, en partant même d'un bon à-priori car je trouvais la pochette façon 60's assez classe. Mais après une première écoute bien sérieuse, j'étais incapable de dire si c'était moi qui avait écouté l'album ou si ce n'était pas plutôt l'album qui m'avait écouté tant celui-ci était timide, pas bruyant, gentiment mou, avec autant de goût que de l'eau plate. On sortait de ces très courtes 34 minutes en se demandant "oui et alors?", on ne voyait pas vraiment où Beck voulait en venir, on avait là une collection de 10 chansons peu mémorables, avec l'absence de tout ce qui pourrait ressembler à un tube de près ou de loin, on avait une énorme sensation de vide. Les chansons de Beck n'ont jamais tenues sur grand chose, mais on ne s'en rendait jamais vraiment compte. Ici, avec une réverbération peu avantageuse, voir même des samples mal gérés car trop évidents sur Gamma Ray, on entend le vide des chansons et on a l'impression d'une sobriété presque gênante venue d'un type qui faisait des albums foutraques et débordants d'idées. Comme s'il avait décidé de ne plus rien prouver, de ne plus rien essayer, Beck semble effectivement sonner pour l'une des premières fois de sa carrière plus comme d'autres personnes que comme lui même, il n'invente plus rien, il se laisse aller, il fait de la musique néo-shuffle-60's (le morceau titre), il fait des machins pseudo-expérimentaux façon Four Tet/Radiohead qui tombent à l'eau (Replica, pire morceau de l'album), il fait le cowboy stoner un peu caricatural (Soul Of A Man) ou bien il se prend pour Elliott Smith dans le Volcano final qui pâti d'arrangements peu inspirés.

Alors quoi? Assiste-on à une grosse fatigue déprimé de la part de l'ex-petit génie pop? Ou bien n'a on pas tout simplement là un album de transition? Il est intéressant de voir que Modern Guilt est le retour de Beck sur un label indépendant (XL Recordings, en dehors des USA), un fait qu'on aime bien -surtout nous autres qui écrivons des chroniques de disque- symboliser en un changement d'ère, le début d'un nouveau chapitre blah blah blah. Et, oui, vu comme ça, cet album n'est finalement pas le naufrage qu'il semble être au premier coup d'œil, se révélant être, après plusieurs écoutes, un album certes franchement bancal, mais finalement assez prometteur. Ayant besoin de refaire ses preuves après des années de paresse, le nouveau Beck qui revient, peut être plus mature et sérieux, peut être moins branleur, est en tout cas un musicien qui a changé, qui est devenu étrangement sombre, qui a évolué (un petit peu), et si cet album reste franchement inégal, il contient des morceaux qu'on pourrait même qualifier de brillants comme Chemtrails, étrange morceau lent au refrain hanté très prenant et au final complètement génial. D'une manière tout à fait inattendue, il parvient même à convaincre quand il offre des versions de quarantenaire (comprendre molles) de ses anciens morceaux (Orphans, ouverture manquant de pêche mais qui reste en tête malgré tout), restant le type cool qu'il a toujours été au fond, pour peu qu'on ne veuille pas à tout prix y chercher un nouveau Devil's Haircut. Derrière lui, la production de Danger Mouse est sobre, et se fond bien dans un coté néo-retro-moderne de type qui a la gueule de bois pas désagréable, donnant aux morceaux une couleur agréable et un coté familier.

On se retrouve avec un album bizarre au final, ne souffrant pas du coté trop long qui achevait ses précédents albums, mais n'ayant pas vraiment le temps de décoller. A mi-chemin entre une platitude du songwriting qui inquiète un peu, et une habilité à toujours réussir à faire d'excellents morceaux malgré tout, ce nouvel album est donc à voir alternativement comme un coup de pelle en plus du bonhomme pour s'enterrer et une large brasse pour essayer de remonter à la surface. Un album qui ne décide donc en rien du sort de Beck, mais qui est toujours meilleur que l'affligeant The Information que nous avions dû subir il y a deux ans. Envahi subitement d'une vague de bonté et de positivisme naïf à l'écoute de cette gentille tentative, comme un prof qui voit un élève en difficulté faire des efforts, le message qu'on aurait envie de transmettre au héros déchu des 90's est scolaire et simple : "Des résultats encore trop justes mais encourageants. Continuez comme ça".

Emilien.

un lien? oui s'il vous plait : http://www.myspace.com/beck
Extrait vidéo de l'album :
En l'absence de tout clip pour l'instant pour le premier single Chemtrails, autant se consoler avec ce collage étrange d'une vielle vidéo psychédélique sur la chanson Gamma Ray :